J'ai vu mon premier cadavre à 10 ans. C'était une femme du village, une Albanaise, comme la plupart des habitants. Elle devait avoir 21 ans tout au plus. Je n'ai jamais su ce qu'elle avait fait pour mériter d'être déshabillé et jeter dans un fossé.
J'ai vu mon cousin, deux ans plus âgé que moi, son sang traçait un petit ruisseau sur la chaussé abimé qui se joignait au ruisseau plus large qu'un voisin, un oncle ou un ami avait déjà formé, quelque seconde au paravent.
J'ai vu un soldat serbe, un gamin de dix huit ans, qu'on avait pendu, amoché, à un arbre comme un pantin dont un enfant se serait lassé après des années de maltraitance.
J'ai vu mon frère devenir indifférent, ma mère pardonner et mon père s'engager pour le pire et le meilleur.
Paris,12 Février 2014
"Katia, tu as vu ton frère par hasard ? Ca fait un moment que je ne l'ai pas vu."
La petite fille regarda autour d'elle. Aucune trace d'Idir, il faut dire que si elle semblait déjà se comporter comme une adulte, en exagérant un peu, son jeune frère semblait ne pas voir le sérieux de la situation comme elle le voyait.
"Il doit pas être loin, on est entouré de barbelés et de soldat." Quand elle y réfléchis, quelques années plus tard, et trouva étrange qu'elle soit celle réconfortant sa propre mère, enceinte.
Une semaine plus tard, elle retrouva son frère qui s'était mêlé à un groupe d'enfants orphelin prêt à partir pour la France. Un peu plus et il était destiné à une nouvelle vie. Peut-être qu'elle aurait dû le laisser partir finalement.
Elle y repensa encore en voyant les gens se massant devant le dispensaire médical de fortune fournie par l'ONU où sa mère travaillait. Peut-être que c'était mieux d'être n'importe où qu'ici.
"Tu veux pas allez jouer avec les orphelins, Idir ?" Il fit non de la tête en attrapant sa main. Il n'avait jamais été très malin ni très doué pour suivre ses directives.
31 Août 1998